« On ne cueille pas le fruit du bonheur sur l’arbre de l’injustice » Proverbe Français
Introduction
« C’est bien fait pour toi », « C’est le bon dieu qui te punit », «Dans le fond, il l’a bien cherché » : vous devez régulièrement entendre ces affirmations insinuant que tout individu mérite une punition suite à une erreur ou à une faute.
M. Lerner un psychologue américain avait conceptualisé cette croyance sous le concept de « la croyance dans le monde juste ».
Bien qu’il soit nécessaire de tenir en compte le principe de réalité, cet article détaillera en quoi cette conception n’est pas toujours adaptée dans la pratique de psychologue et dans l’accompagnement des patients en souffrance.
La croyance dans le monde juste
Cette partie reprendra des affirmations régulièrement entendues et élaborera une perspective réflexive.
« Les chômeurs sont tous des paresseux » : Tout d’abord, force est de constater que la situation économique s’est globalement dégradée comparée à une certaine période donc cette critique est un anachronisme.
Ensuite, la majorité des chômeurs ne sont pas inactifs (en CDD, à mi-temps ou en intérim) et envoient régulièrement des candidatures.
Enfin, certains sont diplômés, ont plusieurs années d’expérience et/ou un désir de s’en sortir. Ainsi, les causes peuvent être envisagées autrement : le chômeur se résigne t’il car il n’obtient pas de travail malgré ses efforts et non l’inverse ?
« Il ne sait pas se défendre » : affirmation souvent entendu dans le cadre du harcèlement. Cependant, le phénomène du harcèlement est avant tout groupal et la victime n’a pas à subir ce genre de situation, ni à en culpabiliser.
« Il ne réussit pas, c’est parce qu’il ne travaille pas »: certes, nous devons honorer nos obligations. Cependant, dans certaines situations, certaines personnes doivent compenser les dysfonctionnements familiaux et ainsi s’investir au niveau scolaire ou professionnel s’avère difficile voire délicat.
La croyance dans le monde juste a ainsi une fonction défensive donc rassurante : en pensant que tout est juste, nous sommes rassurés quant à l’éventualité de subir un préjudice et donc de le prévenir en raison de notre vertu et de nos efforts.
Cette conception induit donc un clivage : par exemple les travailleurs réussissent là où les paresseux échouent.
La croyance dans le monde juste fonctionne ainsi selon la logique du « Pile je gagne, face tu perds » : quand une personne est sanctionnée, ce n’est que justice mais lorsqu’elle ne l’est pas, elle subira bien un jour « un retour de bâtons ».
Le monde est injuste
Au risque d’être cynique, il suffit tout simplement d’observer les phénomènes quotidiens pour constater à quel point le monde est injuste : catastrophes naturels, violence économique ou humaine, précarité,etc… qui ont des conséquences sur la santé mentale et physique d’un individu et de la société.
La conception du monde juste a souvent été contesté au niveau culturel que ce soit dans la parabole des talents dans la Bible ou la fable de l’éleveur d’abeilles d’Esope. Nous pouvons également nous référer au poète latin Juvenal: « On s’acharne sur les colombes mais on épargne les corbeaux » ou encore le célèbre proverbe : « Fort avec les faibles, Faible avec les forts ».
La croyance dans le monde juste dans l’accompagnement des patients
Cette croyance ne constitue cependant pas une excuse systématique. Le devoir de l’être humain est de supporter la vie, de s’adapter à son environnement et de tenir en compte le principe de réalité.
Sinon, nous sommes dans la culture de l’excuse et dans une dynamique de triangle dramatique.
En tant que professionnel de soin et de surcroît en psychologie, la posture de croyance dans le monde juste n’est pas adaptée dans certaines situations : dans le cadre des traumatismes (violence, accident, perte d’un proche, etc..), des injustices (licenciement, évoluer dans un milieu de travail pénible, le harcèlement dans le milieu scolaire), des déceptions (échec à un examen, rupture sentimental, etc…) et dans les troubles psychiques : Autant dire à un dépressif qu’il a choisi de l’être.
Concernant les patients, certains proches n’ayant pas subi les mêmes épreuves ne comprennent pas toujours la souffrance ressentie.
Mais en martelant cette croyance, les conséquences peuvent être de renforcer la culpabilité, la honte voire confirmer le manque d’estime et de légitimité dans la souffrance de la personne concernée en empêchant la demande d’aide puisque non reconnue.
Or, l’écoute attentive des patients démontre que beaucoup n’ont pas demandé à subir certaines épreuves, ni à endurer certaines souffrances.
Un fois ce constat effectué, que faire ? Comme l’affirme le stoïcien Marc-Aurèle : « donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de changer celles que je peux changer et la sagesse de distinguer les premières des secondes »
Ainsi, changez ce que vous pouvez changer, le désir de réparation et de reconnaissance sont légitimes cependant évitez de remplir des tonneaux percés : parfois on n’obtient pas toujours la considération de ceux dont on l’espère.
Plutôt que de vous apitoyer sur votre sort, sollicitez votre « volonté de puissance » et faites preuve d’humilité afin de surmonter la peine quitte à être aidé justement par un psychologue : « Il vaut mieux allumer une bougie que de se plaindre dans le noir ».
Tel Ulysse, beaucoup subissent des épreuves sans qu’ils n’aient rien demandé mais le courage consiste à persévérer dans l’existence malgré l’adversité.
Conclusion
Après avoir précisé la croyance dans le monde juste et ses conséquences dans nos vies et en tant que professionnel, il est ainsi nécessaire de surmonter cette conception parfois réductrice et paradoxalement injuste.
De surcroit, il ne faut pas que ce biais vous empêche de demander de l’aide à un psychologue et savoir prendre de la distance face aux difficultés pour devenir plus épanoui.
